Annulation de la décision de préemption pour incompétence du signataire dont la délégation de compétence n’a pas été publiée
Pour financer leurs acquisitions immobilières et réaliser leurs opérations, il est très fréquent que les collectivités fassent appel à des établissements publics du type établissement public foncier (EPF), ou à des sociétés publiques (dont elles sont associées) du type société d'économie mixte locale (SEM) ou société publique locale (SPL).
Dans ce cas, par une délibération publiée et envoyée au préfet, la collectivité locale va déléguer son droit de préemption urbain à l'établissement public foncier ou à la société publique. avocat
Pour que ce schéma soit efficace, encore faut‑il que l'établissement public ou la société délégataire ait mis en œuvre une délégation efficace à son directeur (ou sa directrice) signataire des décisions de préemption.
C'est justement ce que la cour administrative d'appel de Paris a rappelé et sanctionné dans deux affaires différentes qui lui ont permis d'annuler des décisions de préemption de deux sociétés d'économie mixte locale (CAA de Paris, 23 janvier 2025, n°23PA02228 et CAA de Paris, 23 janvier 2025, n° 23PA03934).
Par une délibération de son conseil municipal, une commune avait délégué son droit de préemption urbain à deux sociétés d'économie mixte sur des périmètres différents pour chacune. Puis, chaque société d'économie mixte a délégué l'exercice de ce droit de préemption à sa directrice par une délibération de son conseil d'administration. avocat spécialiste
Dans la première affaire (CAA de Paris, 23 janvier 2025, n°23PA02228) une société civile immobilière a déclaré en mairie son intention de vendre un lot de copropriété, constituant un local commercial, au commerçant qui l'exploitait (commerce de primeur fruits et légumes) et la directrice générale de la première société d'économie mixte a signé une décision de préemption à un prix inférieur au prix de vente. C'est le commerçant acquéreur évincé qui a engagé un recours en justice, et le tribunal administratif a annulé la décision de préemption. La Cour administrative d'appel a confirmé l'annulation de la décision de préemption de la directrice générale de la société d'économie mixte locale, en constatant une irrégularité du processus de délégation du droit de préemption :
« Lorsque le droit de préemption a été délégué à une société d'économie mixte en application des dispositions… de l'article L. 213‑3 du code de l'urbanisme, son organe délibérant peut en déléguer l'exercice à son organe de direction par une délibération. Gilles CAILLET avocat
► La décision de délégation du droit de préemption au dirigeant de la société d'économie mixte doit être publiée
Eu égard à l'étendue du public susceptible d'être destinataire d'une décision de préemption, soit l'ensemble des propriétaires de biens entrant dans le champ de mise en œuvre du droit de préemption urbain et de leurs acquéreurs potentiels, et compte tenu des conséquences qu'emporte l'exercice du droit de préemption sur la liberté de disposer de ses biens, composante du droit constitutionnel de propriété, cette délibération doit faire l'objet d'une publication de nature à le rendre opposable aux tiers. Cette dernière condition ne doit être regardée comme satisfaite que si la décision de délégation de l'exercice du droit afférent à l'un des dirigeants de la société a été publiée, soit dans des conditions qui garantissent un accès en ligne, simple et gratuit, soit dans des conditions identiques à celles dans lesquelles l'a lui‑même été l'acte par lequel l'organe délibérant du titulaire du droit de préemption, mentionné à l'article R. 213‑1 du code de l'urbanisme, a délégué ce droit. Cette publication, qui peut prendre la forme d'un extrait de la délibération de l'organe délibérant de la société, doit mentionner précisément l'étendue de la délégation consentie et, s'il échet, reproduire les stipulations des statuts de la société ou de l'organisme auxquelles il est renvoyé. La circonstance que, conformément aux dispositions du code de commerce, ces statuts ont eux‑mêmes été publiés au greffe du tribunal de commerce et seraient accessibles à toute personne qui en ferait la demande, au demeurant payante, par l'intermédiaire d'un site en ligne dédié n'est pas de nature à pallier l'absence de publication dans les conditions susmentionnées. avocat spécialisé en préemption
Il ressort des pièces du dossier que, par une délibération XXXX, le conseil d'administration de la [Société d'économie mixte] a approuvé la nomination de Mme XXX en qualité de directrice générale et l'a investie " des pouvoirs les plus étendus lui permettant d'agir en toute circonstance au nom de la société et en vertu de l'article 22 bis des statuts et dans la limite de l'objet social de la société. ". Il ressort également des pièces du dossier que, le 25 octobre 2017 a été publiée dans le journal d'annonces légales " La Loi ", relativement à la [Société d'économie mixte], l'information suivante : " Le conseil d'administration en date du 17/10/2017 a pris acte de : / - la nomination de Madame K... B... (...), en qualité de nouvelle directrice générale à compter du 18/10/2017 pour une durée illimitée, en remplacement de Monsieur E... A..., directeur général démissionnaire, / (...) ". avocat
D'une part, le conseil d'administration de la [Société d'économie mixte], en confiant à sa directrice générale, par délibération du 17 octobre 2017, " les pouvoirs les plus étendus ", a entendu l'habiliter à exercer le droit de préemption urbain à chaque fois que celui‑ci serait délégué par la Ville de XX à cette société d'économie mixte à l'occasion de l'aliénation d'un bien. Il s'ensuit que, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, cette délibération ne peut être regardée comme " rédigée en des termes trop généraux " et comme faisant obstacle à la délégation du droit de préemption.
D'autre part, il n'est ni établi par les pièces du dossier ni même allégué, d'une part, que la consultation du journal d'annonces légales " La loi ", dans lequel a été publiée la délégation de compétence critiquée, pourrait s'opérer dans les mêmes conditions que celle du Bulletin municipal officiel de la Ville de XXX, par un accès en ligne et gratuit. En outre, la teneur de la publication en cause, telle que rappelée au point [précédent], se limite à mentionner la nomination de la directrice générale de la société et ne fait pas apparaître explicitement que l'exercice du droit de préemption urbain lui est délégué, ni n'en expose les conditions de son exercice, alors qu'il peut s'inférer du renvoi opéré par la délibération du conseil d'administration du 17 octobre 2017 à l'article 22 bis des statuts de la société, que ces stipulations viennent à tout le moins préciser ces conditions. En outre, si les statuts de la société sont accessibles sur le site Infogreffe à toute personne qui en fait la demande, ces modalités de publication ne sont pas de nature à assurer le respect de la règle rappelée au point [précédent]. Gilles CAILLET
Il résulte de ce qui précède que la délégation de l'exercice du droit de préemption urbain à la directrice générale de la [Société d'économie mixte], signataire de la décision litigieuse, n'ayant pas fait l'objet d'une publication de nature à la rendre opposable aux tiers, au sens de la règle rappelée au point [précédent], cette décision est entachée d'incompétence. La [Société d'économie mixte] n'est donc pas fondée à se plaindre que … le tribunal administratif de Paris en a prononcé l'annulation. » (CAA de Paris, 23 janvier 2025, n°23PA02228)
Dans la seconde affaire du même jour (CAA de Paris, 23 janvier 2025, n°23PA03934), ce sont des héritiers propriétaires indivisaires qui ont contesté la décision de préemption d'une autre société d'économie mixte qui visait un immeuble entier (avec local commercial et logements) dont ils avaient déclaré la mise en vente. Le tribunal administratif a rejeté leur requête, mais la cour administrative d'appel a annulé le jugement et la décision de préemption de la directrice générale avec le même raisonnement que dans la première affaire : La délibération de délégation de compétence à la directrice générale n'avait pas été publiée selon une forme la rendant opposable aux tiers.
« En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la délibération du 30 mars 2021 du conseil d'administration de la [Société d'économie mixte] a été publiée au greffe du tribunal de commerce de Paris le 13 avril 2021, dans un journal d'annonces légales le 12 avril 2021 et sur le site Infogreffe le 30 mars 2021. Ces modalités de publication ne peuvent, du fait du caractère limité de leur accessibilité au public, le site Infogreffe étant, au demeurant, un site payant, être regardées comme étant de nature à rendre opposable aux tiers la délibération litigieuse. Dès lors, [les propriétaires indivis] sont fondés à soutenir que la délibération par laquelle le conseil d'administration de la [Société d'économie mixte] a délégué l'exercice du droit de préemption urbain à la directrice générale de cette société, n'a pas été publiée régulièrement et qu'elle méconnaît, en conséquence, les dispositions précitées de l'article R. 211‑5 du code de l'urbanisme. » (CAA Paris, 23 janvier 2025, n°23PA03934).
Encore des exemples où cela valait la peine pour les requérants d'engager un contentieux et d'aller jusqu'au bout de leur contestation de la décision de préemption entachée d'illégalité du fait que la délégation de compétence leur était inopposable.
Choisir Gilles CAILLET avocat pour contester en appel une décision de préemption illégale.