La notification de la décision de préemption au notaire suffit pour faire partir le délai de recours de deux mois à l’égard de tous les propriétaires vendeurs

Pour purger le droit de préemption urbain, il faut déposer en mairie une déclaration d'intention d'aliéner sur un formulaire CERFA (actuellement formulaire n°10072*4), conformément aux articles L 213‑2 et R 213‑5 du code de l'urbanisme.

L'enregistrement de la DIA en mairie provoque le départ du délai impératif pour que le titulaire du droit de préemption notifie sa décision (en principe deux mois), sachant que le silence gardé pendant ce délai équivaut à une renonciation (article L 213‑2 du code de l'urbanisme).

La loi ALUR du 24 mars 2024 a complété l'article L 213‑2 du code de l'urbanisme pour qu'il précise que la décision de préemption « est notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à la personne mentionnée dans la déclaration d'intention d'aliéner qui avait l'intention d'acquérir le bien » (article L 213‑2 alinéa 6 du code de l'urbanisme).

La jurisprudence a instauré comme principe que le titulaire du droit de préemption doit impérativement notifier sa décision dans le délai de l'article L 213‑2 précité, faute de quoi la préemption est illégale (Conseil d'Etat, 15 février 2002, n°230015). Autrement dit : la notification de la décision de préemption dans le délai est une condition de sa légalité, et c'est même un vice de légalité interne (CAA Nantes, 26 juin 2024, 24NT00061).

Bien entendu pour contester la décision de préemption, le propriétaire vendeur (propriétaire unique) ou les propriétaires vendeurs (indivision entre héritiers, époux, concubins…) doivent impérativement saisir la juridiction « dans les deux mois à partir de la notification » de cette décision de préemption (article R 421‑1 du code de justice administrative) (attention : un recours gracieux exercé pendant ces deux mois a un effet suspensif sur le délai de recours contentieux).

Désormais, il est moins facile pour les propriétaires de savoir quand expire leur délai de recours contre la décision de préemption, lorsque c'est un notaire qui signe et dépose la DIA en mairie.

En effet, un récent arrêt du Conseil d'Etat a décidé que la notification de la décision de préemption au notaire suffit pour faire partir le délai de recours à l'égard de tous les propriétaires vendeurs, même s'il n'est pas prouvé à quel date le notaire les a informés (Conseil d'Etat, 7 mars 2025, n°495227).

Dans cette affaire, 7 propriétaires indivisaires avaient décidé de mettre en vente la maison avec jardin dont ils avaient hérité. Ils ont d'abord proposé à la commune d'acquérir leur bien, mais celle‑ci n'y a pas donné suite. Un an plus tard, ils ont signé un compromis de vente avec des particuliers et leur notaire a déposé une DIA en mairie, le 8 février 2018, qui a provoqué une décision de préemption de la part de la commune le 28 mars 2018. Cette décision n'a été notifiée qu'au notaire par e‑mail du 9 avril 2018. Ce notaire a même répondu le 10 avril 2018 qu'il avait informé les acquéreurs évincés de la préemption. Cependant on ignore à quelle date le notaire en a réellement informé les indivisaires. Deux ans plus tard, trois des propriétaires indivisaires ont saisi le tribunal administratif d'une requête en annulation de la décision de préemption.

Le tribunal administratif a rejeté leur requête au motif qu'elle était tardive, ce que la cour administrative d'appel (CAA Douai, 18 avril 2025, n°23DA01312) a confirmé :

« Le notaire, qui signe la déclaration d'intention d'aliéner concernant le bien litigieux, doit être regardé comme le mandataire du vendeur. Par suite et dès lors que la déclaration d'intention d'aliéner ne mentionne pas expressément, comme elle peut le faire, à qui - du propriétaire ou de son mandataire - la décision de préemption doit être notifiée, cette notification au notaire fait courir le délai de recours contentieux à l'encontre du propriétaire.

Il ressort des pièces du dossier que la déclaration d'intention d'aliéner a été signée par le notaire des appelants le 8 février 2018 et mentionnait que la décision du titulaire du droit de préemption devait être notifiée à l'adresse de ce mandataire. Par un courrier du 28 mars 2018, la maire de Calais a fait parvenir à ce notaire l'arrêté du même jour portant exercice du droit de préemption. Cet arrêté lui a également été adressé par courriel le 9 avril 2018, et le notaire a répondu le 10 avril 2018 qu'il avait informé les acquéreurs évincés de la préemption. La preuve de l'envoi de la décision de préemption au mandataire de l'indivision le 9 avril 2018 est ainsi apportée par la commune qui a, au surplus, adressé, le 9 avril 2018, la décision de préemption à l'un des membres de l'indivision. Dans ces conditions, la demande de première instance enregistrée le 29 juin 2020, plus de deux ans après la notification de la décision de préemption, était tardive et, par suite, irrecevable. »  avocat spécialiste

Sur pourvoi en cassation des 3 propriétaire indivis, le Conseil d'Etat approuve l'irrecevabilité du recours :

► La notification au notaire de la décision de préemption a fait courir le délai de recours pour les propriétaires indivisaires

« Pour confirmer la tardiveté de la demande de première instance présentée par les consorts D..., la cour administrative d'appel a relevé sans dénaturer les pièces du dossier que la déclaration d'intention d'aliéner avait été signée par leur notaire le 8 février 2018 sans qu'aucun élément ne permette d'établir l'expression d'une volonté des vendeurs de ne pas lui confier un mandat s'étendant à la notification éventuelle de la décision du titulaire du droit de préemption. La cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit au regard de l'article L. 213‑2 du code de l'urbanisme en en déduisant que la notification au notaire de la décision  de la commune de XX de préempter le bien des consorts D... avait fait courir à leur encontre le délai de recours contentieux contre cette décision. » Gilles CAILLET avocat

Le Conseil d'Etat se contente donc de trancher ici une question de délai de recours, et il serait hâtif de donner à son arrêt une portée de principe qu'il n'a pas, notamment concernant la légalité interne de la décision de préemption. avocat

D'une part, depuis l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt, le formulaire CERFA de DIA a récemment été modifié et impose désormais au notaire de « Joindre à la déclaration … une copie du pouvoir ou du mandat. » (formulaire CERFA n°10072*4 rubrique H renvoi n°21).

D'autre part, l'arrêt du Conseil d'Etat ne tranche pas explicitement la question de fond de la validité d'une DIA déposée sans mandat des propriétaires, d'autant plus que l'article 1156 du code civil précise qu'un « acte accompli par un représentant sans pouvoir … est inopposable au représenté ».

D'ailleurs, le rapporteur public qui a conclu devant le Conseil d'Etat suggère logiquement que le défaut de mandat du notaire est susceptible de provoquer une action en responsabilité à son encontre :

« Précisons pour finir que s'il apparaissait que le notaire aurait agi en dehors de tout mandat ou qu'il n'a pas informé les indivisaires de la décision de préemption, c'est à notre sens d'abord sur le terrain indemnitaire que se nouera une prochaine discussion contentieuse. » (conclusions de Monsieur Thomas JANICOT, rapporteur public sur CE 7 mars 2025, requête n°495227).

Effectivement, même si les cas sont peu fréquents, la jurisprudence retient la responsabilité du notaire pour une DIA mal rédigée ou mal envoyée qui a provoqué l'annulation de la vente (Cour d'appel d'Aix‑en‑Provence, 25 juin 2020 RG 18/04561 ; cour de cassation, 1ère ch civ, 17 mars 1993, pourvoi n°89‑20991). Cette responsabilité risque d'être plus facilement recherchée si, en plus d'avoir commis une erreur dans la rédaction ou les modalités d'envoi de la DIA, le notaire ne justifie pas avoir de mandat de chaque propriétaire indivisaire pour la déposer.

Enfin et surtout, même si la décision de préemption de l'espèce n'est plus contestable, la commune n'a pas pour autant pu acquérir le bien, à défaut d'accord de tous les indivisaires sur les conditions d'une vente à son profit. La commune a manifestement été beaucoup moins généreuse dans son offre de prix que les particuliers qui avaient signé une promesse de vente.

Pour savoir quoi faire face à une décision de préemption, il faut consulter Gilles CAILLET avocat